Le cœlacanthe, mais arrêtez donc de m’appeler « fossile vivant » !
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Article rédigé par JEAN-PIERRE ULMET
Volontaire du Muséum, ancien professeur au département de Physique de l’INSA de Toulouse
De temps en temps la nature nous joue des tours en nous laissant croire que certaines espèces ont disparu à tout jamais … Et puis, en général par un pur hasard, il arrive que l’on redécouvre l’une de ces espèces perdues ou un proche parent de sa lignée. Dans les médias on parle souvent de « fossile vivant », oxymore qui déplaît fortement aux naturalistes…
Un exemple fameux est celui du cœlacanthe dont la découverte a été largement médiatisée à l’époque de sa « réapparition » car, de plus, celui-ci a quelque chose à voir avec nous… !
Histoire d’une redécouverte
Les cœlacanthes (1) n’étaient connus que comme un groupe de spécimens fossiles largement représentés dans des sédiments allant du Dévonien (360 Ma) au Crétacé terminal (66 Ma), mais qui depuis semblaient avoir disparu. Ils intéressaient déjà les scientifiques du XIXe siècle car leurs nageoires paires (antérieures ou pectorales et postérieures ou pelviennes) charnues, munies de pièces basales osseuses, en faisaient de potentiels ancêtres des vertébrés à quatre membres, les Tétrapodes, qui sortirent plus tard de l’eau et colonisèrent la terre ferme.
Quelle ne fut donc pas la surprise du monde scientifique lorsqu’en 1938 la sud-africaine Marjorie Courtenay-Latimer (1907 – 2004) annonça la découverte d’un cœlacanthe vivant, un membre de ce groupe fossile que l’on croyait éteint depuis la fin du Mésozoïque. Le 22 décembre 1938, en effet, elle avait reçu un appel d’Afrique du Sud l’informant qu’un pêcheur actif dans l’estuaire de la Chalumna River (1), Hendrik Goosen, venait de remonter dans ses filets un poisson inconnu… Elle emporta la prise à l’East London Museum d’Afrique du Sud, dont elle était conservatrice, afin d’essayer de l’identifier. Ne le trouvant dans aucun de ses ouvrages, elle fit naturaliser l’animal et contacta l’ichthyologue sud-africain (Université Rhodes) James L. Brierley-Smith (1897-1968) qui identifia un cœlacanthe, c’est-à-dire un représentant d’un groupe uniquement connu par ses fossiles. L’espèce découverte a par la suite été baptisée Latimeria chalumnæ en l’honneur de Marjorie Courtenay-Latimer et du lieu dans lequel elle a été retrouvée (la rivière Chalumna).
Depuis, plus d’une trentaine de spécimens ont été pêchés à l’est de l’Afrique du Sud, essentiellement dans le secteur du canal du Mozambique et des Comores. Une deuxième espèce de cœlacanthe, Latimeria menadoensis, a été découverte en 1997 près de l’île de Manado en Indonésie. Ce fut une véritable surprise car on considérait que les cœlacanthes vivants étaient confinés au large de la côte est africaine. La séparation des deux espèces, africaine et indonésienne, aurait eu lieu il y a environ 10 millions d’années. Actuellement ces animaux sont classés « en danger critique d’extinction » par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et toute pêche délibérée est interdite (même scientifique).
Le spécimen Latimeria chalumnae du Muséum de Toulouse, donné par un médecin narbonnais travaillant aux Comores, est arrivé au Muséum en mauvais état et immédiatement mis dans une solution formolée. À l’occasion de l’exposition temporaire sur le Cœlacanthe en 1994, le spécimen a été monté par Jean-Pierre Barthès, taxidermiste du Muséum, sur un mannequin en résine.
Mœurs des cœlacanthes
Les cœlacanthes sont d’imposants animaux pouvant atteindre 2 mètres de long et peser jusqu’à 100 kilos. Ils vivent en profondeur couramment entre 100 et 400 mètres mais peuvent descendre, croit-on, jusqu’à plus de 500 mètres où règne une obscurité complète. La plupart du temps ils sont cachés dans des grottes sous-marines d’où ils sortent pour chasser la nuit. Ce sont des animaux placides aux déplacements lents et à la nage très particulière comme en témoignent des plongeurs qui les ont observés de près (citons les remarquables et nombreuses plongées profondes (3) à 120 mètres de profondeur du biologiste et photographe Laurent Ballesta(4) de 2010 à 2015 dans la baie de Sodwana au nord-est de l’Afrique du Sud). Quand ils se déplacent leurs nageoires bougent en un étrange ballet coordonné rappelant la reptation d’un lézard…
Afin de les étudier vivants dans la durée, car les plongées profondes ne sont pas « une promenade », on a essayé de capturer des cœlacanthes mais aucun individu n’a jamais pu être conservé vivant en surface plus de quelques heures. Cet animal venant de la nuit des temps, qu’on pouvait penser d’une résistance à toute épreuve, est en réalité d’une fragilité qui a étonné les biologistes. Une des hypothèses serait que les efforts du poisson pour se libérer entraîneraient une asphyxie, les cœlacanthes étant dotés de branchies très petites par rapport à leur taille. Ce phénomène, aggravé par une production excessive d’acide lactique due aux efforts musculaires, ne serait pas supporté par le métabolisme plutôt lent du cœlacanthe.
Le cœlacanthe est plus proche de nous que des « poissons »
La mosaïque de caractères du cœlacanthe rend cet animal singulier. Il est le seul vertébré actuel dont certains traits étaient déjà présents chez les Sarcoptérygiens à l’origine des Tétrapodes. Ces caractères ancestraux, tels que l’articulation intracrânienne, les nageoires charnues et pédonculées, et le poumon (en fait un court diverticule issu de l’œsophage, vestige peut être d’un poumon fonctionnel), sont mêlés aux caractères dérivés apparus au cours de l’évolution des cœlacanthes, comme par exemple la morphologie symétrique des os des nageoires. On s’interroge en outre sur certains caractères spécifiques tels que le rostre inclus dans son museau sensible aux impulsions électriques ou encore une articulation intracrânienne. Pour conclure, le cœlacanthe ne peut pas être qualifié de « poisson » au sens habituel que l’on donne à ce mot car il n’est pas sur la même lignée que ceux-ci (Actinoptérygiens) mais plutôt sur celle des Sarcoptérygiens (dont sont issus les Tétrapodes auxquels nous appartenons). Notons que, de toute façon, ces deux grands groupes sont issus des Ostéichtyens (poissons osseux à mâchoires) comme on peut le voir sur ce cladogramme :
Ce n’est pas un fossile vivant !
Lors de sa découverte (ou redécouverte), le cœlacanthe a été qualifié de « fossile vivant » (2) sous prétexte que l’animal actuel ressemblait beaucoup aux derniers fossiles connus remontant à la fin du Crétacé. Cette appellation est évidemment une hérésie car l’évolution ne nous dit pas les voies qu’elle emprunte et le cœlacanthe peut effectivement avoir gardé une morphologie très proche de ses ancêtres sans que nous sachions encore précisément quel a été le détail de son évolution génétique. C’est la même erreur que commettent les créationnistes en nous présentant des organismes si ressemblants à leurs fossiles que, pour eux, « toute évolution depuis leur création a été impossible » !
Notes de bas de page :
- Pour un article très complet sur le cœlacanthe lire : Dans le monde secret des cœlacanthes, n° 427 de « Pour la Science »:https://www.pourlascience.fr/sd/zoologie/dans-le-monde-secret-des-c339lacanthes-7301.php
- Plongée avec le coelacanthe, poisson légendaire, article de « Sciences et Avenir » https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/plongee-avec-le-coelacanthe-poisson-legendaire_100726
- Laurent Ballesta a créé en 2008 sa société d’exploration des fonds marins « Andromède Océanologie »
Image d’en tête : Le cœlacanthe : fossile vivant : [exposition, Toulouse, Muséum d’Histoire Naturelle, 20 décembre 1993 – 9 mai 1994] / Muséum d’Histoire Naturelle (Toulouse).