Les fouilles côte de Valentine
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Article par GUILLAUME FLEURY
Chargé des collections de préhistoire et d'anthropologie physique, Muséum de Toulouse.
Depuis 2015 le Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse organise, en partenariat avec David Begun de l’Université de Toronto (Canada), des fouilles sur le gisement historique du Dryopithèque.
Gisement historique du Dryopithèque
Le site où pour la première fois a été découvert un fossile de grand singe se situait dans une carrière d’extraction d’argile sur la commune de Saint-Gaudens, au lieu-dit Côte de Valentine.
L’exploitation de l’argile était une activité répandue dans la région de Saint-Gaudens. L’argile était utilisée comme matériel de construction, brut ou transformé. Ces excavations ont permis de mettre au jour dans toute la région des fossiles de vertébrés datant du Miocène.
Parmi les fossiles découverts à Saint-Gaudens, un pharmacien M. Fontan a reconnu dès 1856, des fragments appartenant à un grand singe : Dryopithecus fontani, Lartet, 1856. Ces découvertes vont donner naissance à une nouvelle discipline scientifique : la paléoanthropologie. En effet, avant cette découverte du premier grand singe fossile, il n’y avait aucun argument pour soutenir l’ancienneté de l’homme et l’enracinement de ses origines dans la période Miocène.
La majorité des découvertes se sont faites alors que l’activité industrielle était maintenue. Depuis la fermeture des carrières d’argiles dans les années 1930, aucune fouille n’a eu lieu sur le site de Saint-Gaudens. Le matériel conservé par le muséum d’Histoire naturelle de Toulouse comporte quelques restes de macrofaune.
Le Dryopithèque
Dryopithecus fontani est une espèce de grand singe qui a vécu en Europe il y a 7 à 13 millions d’années. Les découvertes de fossiles de Dryopithèque montrent que son aire de répartition s‘étendait de l’Espagne à la Géorgie. Avec d’autre genres découverts en Eurasie, il descend de grands singes africains qui, au début du Miocène, constituent un groupe anatomiquement homogène et peu diversifié. Ils ont évolué et se sont diversifiés en Eurasie suite au contact de la plaque africaine avec la plaque eurasiatique au Miocène (Burdigalien) qui va permettre des échanges de faunes entre les deux continents.
Les grands singes d’Eurasie et d’Europe en particulier sont un jalon important pour comprendre l’origine et l’évolution de notre lignée. En effet les dernières découvertes (Hongrie) montrent que les grands singes africains et les premiers représentant de la lignée humaine ont un crâne anatomiquement plus proche des Dryopithèques européens que des grands singes asiatiques. Certains scientifiques suggèrent que les Dryopithèques (ou un proche parent) pourraient être l’ancêtre commun des grands singes africains et des humains.
Cette origine eurasiatique pour l’ancêtre de notre lignée implique un retour en Afrique à partir d’Europe et une diversification au cours du Miocène supérieur.
L’un des aspects caractéristiques des hominidés est la flexibilité du comportement et la capacité de faire face à des conditions écologiques diverses et changeantes (Potts 2004; Russon & Begun 2004). Cela se vérifie en Eurasie où l’on observe, chez les grands singes, la diversification du répertoire locomoteur et le développement des capacités suspensives, la spécialisation des adaptations alimentaires, l’augmentation de la taille globale du corps et du cerveau et un ralentissement général du cycle vital (Begun & Kordos 2004; Kelley 2004; Russon & Begun 2004).
Ces adaptations caractéristiques de notre lignée apparaissent pour la première fois en Eurasie en réponse aux conditions écologiques (Begun, 2009). Elles ont probablement permis aux hominidés de survivre et de s’adapter aux conditions changeantes du Miocène supérieur et de se disperser en Asie du Sud-Est et en Afrique.
La première campagne de fouilles, du 25 mai au 2 juin 2015
L’équipe de fouilles était composée de David Begun de L’université de Toronto, Guillaume Fleury du muséum d’Histoire naturelle de Toulouse et de 6 étudiant·e·s de l’Université Paul Sabatier suivant le module EDM4 Paléoanthropologie (Mathilde Casquinha, Quentin Cosnefroy, Adeline Morez, Anaïs Peyrouty, Lolita Stephan et Simon Taurines).
Suite à une mission préparatoire, nous avons rencontré les propriétaires d’une parcelle et eu l’autorisation d’ouvrir un chantier de fouilles sur leur terrain. Les travaux d’aménagement pour accéder au site ont été réalisés par l’entreprise Natura Service qui a dégagé le terrain et réalisé deux sondages.
Les terrains Miocène ont été mis au jour lors du sondage dans le fond de la propriété. Le sondage effectué dans le sens transversal du terrain n’a pas permis d’atteindre les couches Miocène. Seul du remplissage dû à l’activité de la carrière a été trouvé.
Les fouilles se sont concentrées sur le premier sondage. En quatre jours de fouilles effectives, aucun reste fossile n’a été trouvé.
Une coupe de dix mètres de développement a été relevée et des sédiments ont été prélevés en différents niveaux de la coupe. Le travail de tamisage et tri de ces sédiments a été réalisé mais aucun reste n’a été retrouvé.
Deuxième campagne de fouilles, du 30 avril au 5 mai 2018
Pour la deuxième campagne de fouilles, nous avons invité David Alba et Isaac Casanovas Vilar de l’Institut Catalan de paléontologie Miquel Crusafont à Barcelone. Ils ont réalisé des prélèvements de sédiments dans les différents horizons afin de vérifier la présence de microfaune. Frédéric Christophoul du laboratoire G.E.T. de l’Université Paul-Sabatier est venu une journée afin d’étudier la sédimentation du site et Stéphane Bonnet du même laboratoire a réalisé un relevé tridimensionnel de l’ensemble de la carrière.
Clément Zanolli du laboratoire A.M.I.S. de l’Université Paul-Sabatier et des étudiant·e·s de l’Université Paul-Sabatier (Florian Bouchet, Déborah Diquélou et Lisa Genochio) sont venus participer aux fouilles.
Cette année, la mission a permis le relevé d’une coupe stratigraphique et la mise en évidence de différents horizons. Mais surtout, un niveau a livré quelques restes fossilisés (en majorité des restes dentaires) de petits mammifères. C’est une découverte importante car depuis la publication des restes de Dryopithèque en 1856, il n’y avait pas eu de découverte de fossiles sur ce site.
De plus, le cadre biostratigraphique (âge) et paléoenvironnemental (milieu de dépôt) du site n’était pas connu. Ces indices sont prometteurs mais ne peuvent à eux seuls (six restes fragmentaires) permettre de comprendre le milieu de vie du Dryopithèque et de proposer un âge pour le site. Une autre campagne de terrain est donc envisagée pour 2019. Elle devrait permettre le prélèvement d’une tonne de sédiments afin de récupérer assez de matériel pour réaliser une étude biostratigraphique complète.
Photo d’en-tête : Carrière d’argile, côte de Valentine, Saint-Gaudens – coll. muséum, MHNT.PHa.TIR.14.1