Une nouvelle espèce de taupe au Muséum d’Histoire Naturelle
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Article rédigé par VIOLAINE NICOLAS-COLIN et HENRI CAP
Directrice de l’Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité (ISYEB), Département Origines et Evolution au Museum national d’histoire naturelle ; Chargé des collections de zoologie, Muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
Parmi l’actualité qui touche les collections de zoologie du Muséum de Toulouse, une des dernières concerne la découverte d’une nouvelle espèce de taupe pour notre région ! Cela a de quoi surprendre puisque ce petit mammifère, bien que rarement observable, n’en est pas moins connu des jardiniers avec ses taupinières. Mais notre taupe d’Europe cachait bien son jeu…
La taupe d’europe
Proche parente du condylure étoilé nord-américain, du desman des Pyrénées, endémique à notre région et aux Cantabriques, mais aussi lointaine cousine des hérissons et des musaraignes, la taupe d’Europe, Talpa europaea, déconcerte depuis un moment les spécialistes puisque son aire de répartition, allant des Pyrénées jusqu’en Russie, s’avère être sans commune mesure avec celles des 8 autres espèces de taupes paléarctiques du genre Talpa, dont la distribution reste endémique à de petites zones géographiques. Toutes les taupes sont adaptées au creusement de galeries grâce à leurs membres antérieurs raccourcis transformés en doubles pelles. Chaque bras est muni de cinq doigts aux griffes puissantes et d’un faux-pouce en forme de lame rattaché à un os du poignet. La taupe a donc tout d’une petite pelleteuse !
La taupe aquitaine, nouvelle espèce cryptique des Pyrénées
Toutefois si des différences minimes au niveau morphologique et moléculaire avaient jusque-là permis de distinguer chaque espèce, le cas particulier de la taupe d’Europe, espèce la plus répandue, n’avait pas été résolu. C’est maintenant chose faite grâce à une équipe du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et de l’Université autonome de Barcelone. Ainsi les scientifiques ont pu mettre en évidence que les taupes d’Europe vivant autour des Pyrénées espagnoles et françaises constituaient en fait une nouvelle espèce cryptique de taupe. Décrite en 2017, elle est nommée taupe aquitaine ou Talpa aquitania. On parle d’espèce cryptique lorsque deux espèces morphologiquement semblables ne se reproduisent pas ensemble. Semblables de prime abord, elles ont en fait chacune un patrimoine génétique particulier qui évolue dans des directions indépendantes. On peut cependant les reconnaître en faisant appel à une combinaison de caractères provenant de différentes sciences : génétique, écologie, morphométrie ou études du comportement. Des espèces cryptiques sont régulièrement décrites chez certains groupes très diversifiés (arthropodes, mollusques), ou originaires de zones géographiques moins bien inventoriées. Toutefois cette nouvelle espèce de taupe montre que, même sur des terrains bien connus, il est possible de faire progresser nos connaissances.
Ainsi la taupe aquitaine se distingue de la taupe d’Europe par une taille significativement plus grande, par des différences génétiques, par des caractères dentaires (l’un des reliefs appelé mésostyle des 2ème et 3ème molaires supérieures), des humérus et ulnas de formes différentes et par la membrane recouvrant ses yeux. D’autre part si la taupe d’Europe est présente en France depuis le Nord et l’Est de la Loire jusqu’en Russie, la taupe Aquitaine ne se retrouve qu’au Sud et à l’Ouest de la Loire, jusqu’au Nord de l’Espagne. Une petite zone de contact entre ces espèces serait située dans l’est des Pyrénées. Il reste nécessaire d’étudier plus de spécimens d’Occitanie et d’Auvergne-Rhône-Alpes afin de mieux comprendre quels facteurs délimitent leurs aires de distribution.
La collection de taupes du Muséum de Toulouse
C’est là qu’intervient le Muséum de Toulouse, du fait de sa situation géographique et de sa collection de taupes : elle compte 20 spécimens, dont 9 naturalisés, y compris des individus leuciques, c’est à dire blancs suite à une mutation différente de l’albinisme. Leur provenance, quand elle est connue, reste régionale (Toulouse, Roques, Merville ou Luchon). Les autres spécimens conservés au MHNT correspondent à du matériel ostéologique avec 4 squelettes complets, un crâne et deux membres antérieurs provenant de la collection Estanove (Mas Grenier dans le Tarn-et-Garonne), ainsi que 3 dépouilles du Tarn et du Tarn-et-Garonne.
Sur ces dernières, un prélèvement de tissus a été effectué. Envoyés au MNHN, ils ont permis d’analyser les séquences ADN des marqueurs caractéristiques discriminant chaque espèce. Les premiers résultats ne sont toutefois pas venus de la génétique.
Grâce aux caractères dentaires spécifiques, le crâne provenant du Tarn-et-Garonne a pu être identifié comme le premier spécimen de taupe aquitaine du Muséum de Toulouse. Un second crâne, issu d’un squelette complet donné en 1877 par Sébastien Pianet, de la ménagerie du même nom, serait une taupe d’Europe. Comme la provenance n’est pas précisée dans les archives des collections, cette donnée reste inconnue. Il n’apporte donc rien de plus pour le moment sur la zone de sympatrie, où les deux espèces sont présentes. Elle reste limitée à ce jour aux Pyrénées-Orientales. Si le spécimen provenait de Toulouse ou de ses environs – ce qui semble le plus probable – cela ferait un point beaucoup plus au nord pour l’aire de sympatrie connue jusqu’à présent.
Intérêt de l’identification d’une nouvelle espèce de taupe
Ainsi, même chez un mammifère très commun et dans une zone biogéographique bien connue, l’Europe, il reste encore des espèces à découvrir. Mais en quoi cela est-il important ?
Les espèces sont les unités de base dans de nombreux domaines de la biologie et le fait de pouvoir identifier chacune d’entre elles constitue une obligation, non seulement pour pouvoir évaluer au mieux l’érosion rapide de la biodiversité qui est observée, mais aussi pour permettre la mise en place de programmes de conservation adaptés et documenter chaque espèce avant que certaines d’entre elles ne disparaissent. La science de la classification (taxonomie ou systématique) s’avère essentielle dans la biologie de la conservation, par exemple avec la mise en place de la liste rouge de l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), l’identification des espèces endémiques ou des zones clés sur lesquelles doivent en priorité porter nos efforts de conservation. De même, ce travail de description et de classification est nécessaire dans les domaines du contrôle des espèces envahissantes, des ravageurs mais aussi des maladies. Ainsi, une meilleure description des espèces réservoirs ou vectrices de virus permettra aux chercheurs en épidémiologie de mieux lutter contre les maladies.
Références
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- Costes, P., Klein, E., Delapré, A., Houssin, C., Nicolas, V. & Cornette, R. 2023. Comparative morpho-functional analysis of the humerus and ulna in three Western European moles species of the genus Talpa, including the newly described T. aquitania. Journal of Anatomy 242, 257–276. https://doi.org/10.1111/joa.13772.
- Nicolas, V., « « En direct des espèces » : silence, elle creuse ! Une nouvelle espèce de taupe découverte en France », The Conversation, 2018, [en ligne], https://theconversation.com/en-direct-des-especes-silence-elle-creuse-une-nouvelle-espece-de-taupe-decouverte-en-france-92080 [lien valide en janvier 2024].
- Nicolas, V., Martínez-Vargas, J., Hugot. J.-P. 2017. Molecular data and ecological niche modelling reveal the evolutionary history of the common and Iberian moles (Talpidae) in Europe. Zoologica scripta 46, 12-26
- Nicolas, V., Martínez-Vargas, J, Hugot. J.-P. 2017. Talpa aquitania sp. nov. (Talpidae, Soricomorpha) a new mole species from SW France and N Spain. Mammalia 81 (6) 641–642
- Nicolas, V., Hugot. J., Cornette. J.-P. 2021. New data on the distribution of the two mole species Talpa aquitania Nicolas, Martínez-Vargas & Hugot, 2017 and T. europaea Linnaeus, 1758 in France based on museum and newly collected specimens. Zoosystema 43 (24): 585-617. https://doi.org/10.5252/zoosystema2021v43a24.
Photo d’en tête : Squelette complet de Taupe d’Europe – coll. muséum, MHNT.OST.2001.2, photo : Jacques Sierpinski